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Alors que tous les regards sont souvent tournés vers la prise de fonction du nouveau dirigeant, un maillon pourtant essentiel reste sous-estimé : le rôle du dirigeant sortant. Bien plus qu’un passage de relais, la fin de mandat s’apparente à un parcours intérieur intense, jalonné de ruptures, d’émotions et de décisions cruciales pour l’avenir de l’entreprise.
Quand vient l’heure de passer le témoin, tout semble orchestré : processus de sélection, évaluation des profils internes, plan d’intégration du successeur… Pourtant, dans cette partition stratégique, une voix est rarement entendue : celle du dirigeant sortant. Pour lui, la transition n’est ni anodine ni neutre. Elle soulève une onde émotionnelle souvent mal anticipée par les conseils d’administration ou les équipes.
Le poste de dirigeant, souvent vécu comme une identité plus qu’un emploi, devient difficile à quitter sans tensions intérieures. Et c’est précisément ce décalage entre l’organisation rationnelle de la succession et l’expérience vécue du dirigeant sortant qui peut transformer une transition fluide en séisme silencieux.
L’expérience de dirigeants ayant quitté leurs fonctions met en lumière cinq étapes psychologiques clés à gérer lors d’une succession :
1. Initier la succession : Partir n’est jamais une décision anodine. Elle peut découler d’un ressenti de "moment juste", d’une volonté de laisser la place ou d’aspirations personnelles. Mais elle surprend souvent le conseil, révélant un manque de dialogue profond sur la temporalité des mandats.
2. Lâcher le contrôle : Quand le dirigeant est soudain exclu du processus de succession, une perte de repères s’installe. Le besoin de rester utile, de transmettre, voire simplement d’être entendu, est réel. Plus le dirigeant est impliqué, plus la transition est solide et fédératrice.
3. Gérer les émotions : Le départ active un mélange complexe de fierté, d’anticipation, de tristesse ou de frustration. Il faut gérer son propre ressenti, mais aussi les réactions du comité de direction, des collaborateurs, et parfois même des candidats internes non retenus.
4. Préparer l’après : Paradoxalement, ceux qui ont dirigé avec une vision stratégique peinent souvent à planifier leur avenir. Pourtant, une absence de projection peut nourrir le sentiment de vide et compliquer le détachement.
5. Se détacher du rôle : La frontière entre soi et sa fonction s’estompe avec le temps. Certains continuent d’être perçus comme "le patron", même après plusieurs années. Ce décalage freine parfois l’intégration du successeur et retarde la propre reconstruction identitaire du dirigeant sortant.
Tout au long du processus, un facteur ressort avec force : la qualité de la relation entre le dirigeant et le conseil d’administration. Lorsqu’elle est solide, authentique, construite dans la durée, elle permet d’aborder les sujets difficiles avec bienveillance et efficacité. C’est elle qui autorise les conversations franches, la co-construction du départ, l’intégration respectueuse du nouveau leader, et parfois même un accompagnement sur-mesure du dirigeant sortant dans une fonction de transmission ou de mentorat.
À l’inverse, une relation distante ou purement fonctionnelle augmente les risques d’une transition douloureuse, d’une perte d’alignement stratégique, voire d’un effritement de l’équipe dirigeante.
Pour le dirigeant lui-même, plusieurs leviers peuvent faciliter cette étape charnière :
• Entretenir des relations sincères et régulières avec les administrateurs tout au long du mandat.
• Anticiper l’après : pas seulement professionnellement, mais aussi sur le plan personnel et identitaire.
• Accepter les émotions liées au départ et s’autoriser à les verbaliser.
• Participer activement au processus de succession sans chercher à tout contrôler.
• Favoriser la reconnaissance : un départ symbolisé, ritualisé, aide à tourner la page.
Quitter son poste ne signifie pas perdre son influence. Bien au contraire. Un départ bien préparé, digne et soutenant est un acte de leadership à part entière. Il montre l’exemple, rassure les équipes, facilite la continuité stratégique et valorise le travail accompli.
Dans un monde où les organisations cherchent de plus en plus à conjuguer impact et pérennité, savoir partir est peut-être l’ultime compétence de leadership. Elle requiert lucidité, humilité, et générosité. C’est une transmission, un passage, un moment de vérité.
Les dirigeants qui osent penser leur succession comme un acte stratégique (et pas seulement logistique) renforcent leur légitimité… jusqu’au bout.