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Dans un environnement complexe et incertain, où chaque décision semble engageante voire irréversible, le discernement s’impose comme une compétence stratégique pour les dirigeants. Bien au-delà de la simple rationalité, savoir décider, c’est savoir s’écouter, hiérarchiser, tester et parfois…renoncer. Une démarche exigeante mais féconde, à la croisée de la lucidité intérieure et de l’alignement avec l’essentiel.
À l’heure où tout pousse à l’accélération (signaux contradictoires, urgences opérationnelles, tensions économiques), prendre une décision peut devenir un acte de résistance. Résistance à l’emballement, à la précipitation, à l’injonction d’efficacité immédiate. Pourtant, bien choisir suppose justement de ralentir, de créer en soi un espace d’écoute et de clarification.
Première étape : se reconnecter à ses désirs profonds. Dans cette phase, il ne s’agit pas de cocher des cases ou de valider un plan, mais d’interroger ce qui nous anime, ce qui nous repousse, ce à quoi nous voulons contribuer. Autrement dit, poser ses valeurs. Et, à travers elles, faire émerger une boussole personnelle, ce point de repère indispensable pour ne pas naviguer à vue.
La qualité d’une décision ne dépend pas uniquement de son issue, mais du processus qui y mène. Et ce processus commence souvent par une meilleure compréhension de soi. Suis-je plutôt un intuitif ou un rationnel ? Un impatient ou un analytique ? Un affectif ou un pragmatique ? Chacun, selon sa personnalité et son histoire, dispose d’un profil décisionnel qui influence sa manière d’agir.
Reconnaître son mode naturel de fonctionnement permet d’éviter les pièges habituels : la décision par devoir qui nie l’envie, la fuite en avant dictée par la peur, ou encore l’immobilisme masqué par un excès d’analyse. Ce travail de lucidité personnelle est le socle d’un discernement solide, capable de résister aux pressions externes comme aux illusions internes.
Face à une décision complexe, il est utile de distinguer le dilemme (choisir entre deux options engageantes) de l’alternative (renoncer ou persévérer). Une fois cette distinction posée, l’analyse rationnelle peut commencer : avantages, inconvénients, risques, temporalités… Mais cette rationalité n’est qu’un volet du discernement.
Il convient ensuite d’éprouver les options, de les « vivre » par anticipation. Se projeter sincèrement dans chaque scénario, écouter son ressenti, évaluer la paix ou la tension que chaque choix génère en soi. Une forme de test grandeur nature, où le corps, les émotions et l’esprit travaillent de concert pour affiner l’intuition.
Et surtout, accepter l’imperfection. Aucun choix n’est jamais totalement certain. Il y aura toujours une part de doute, d’ajustement, d’inconnu. Le discernement véritable ne cherche pas l’absolue sécurité, mais la cohérence, l’alignement intérieur, la confiance dans le mouvement engagé.
Dans un monde en mutation, la performance ne peut plus se réduire à des indicateurs financiers ou à des délais tenus. Elle devient globale, intégrant la qualité des décisions, la cohérence entre l’action et les valeurs, la capacité à aligner les finalités humaines, économiques, sociales et environnementales.
C’est en cela que le discernement constitue une compétence clé pour les dirigeants d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de prendre des décisions efficaces, mais de prendre les bonnes décisions, au bon moment, pour les bonnes raisons. Celles qui engagent durablement, qui renforcent la clarté collective, qui donnent du sens aux trajectoires.
Car décider, c’est finalement arbitrer entre l’immédiat et l’essentiel. Et c’est dans cette capacité à penser globalement, à sentir finement, à écouter profondément, que se dessine le véritable leadership de demain : un leadership lucide, aligné, résilient.
Ce ne sont pas nos décisions qui nous définissent, mais la manière dont nous les assumons et les incarnons.